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Le droit à la preuve dans le procès civil : le revirement de jurisprudence du 22 décembre 2023

Le 11 juillet 2024
La Cour de cassation dans son arrêt du 22 décembre 2023 prend en compte la nécessité de ne pas priver une partie à un procès de son droit à la preuve, lorsque la seule preuve disponible a dû être obtenue de manière déloyale.

Le droit à la preuve dans le procès civil : le revirement de jurisprudence du 22 décembre 2023

Maître Florence ROUAS, avocat au Barreau de Paris, vous assiste devant tous les Tribunaux et Cour d'appel de  Paris, Créteil, Versailles, Nanterre, Pontoise, Evry ainsi que dans toute la France.

Vous pouvez la contacter aux numéros suivants : 06 09 40 95 04/ 01 56 07 18 54, ou via le formulaire contact

Réf : Cour de cassation, assemblée plénière, 22 décembre 2023, pourvois n°20-20.648 et 21-11.330

 

 Qu’est-ce que c’est que le droit de la preuve?

Le droit à la preuve est la faculté, pour une partie à un procès, de produire des éléments de preuve en vue de défendre sa cause.

 

En effet, en droit civil, « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. » (Article 9 du Code de Procédure civile).

 

Pour plus de détails sur la preuve :

https://www.avocat-rouaselbazis.com/qu-est-ce-qu-une-preuve-en-droit--comment-etablir-une-preuve-_ad234.html

 

Ce droit à la preuve est limité, notamment par le principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Ce principe signifie qu’en droit civil, une preuve ne peut être recevable que si elle a été obtenue de manière loyale.

 

Depuis un arrêt rendu en date du 7 janvier 2011, le rejet de la preuve obtenue de manière déloyale était automatique dans le procès civil.

Donc, toute preuve obtenue grâce à une manœuvre ou à un stratagème, était immédiatement exclue du débat judiciaire.

 

 Que change la décision de la Cour de cassation en date du 22 décembre 2023 ?

 

 Par un arrêt en date du 22 décembre 2023, la Cour de cassation effectue un revirement de sa jurisprudence.

 

Désormais, le juge civil peut, sous certaines conditions, tenir compte de preuves obtenues de manière déloyale.

 

En effet, le juge doit dorénavant, « apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (Cass, 22 décembre 2023, n°20-20.648).

 

La Cour de cassation prend donc en compte la nécessité de ne pas priver une partie à un procès de son droit à la preuve, lorsque la seule preuve disponible a dû être obtenue de manière déloyale.

Cette preuve obtenue de manière déloyale doit donc être indispensable à l’exercice du droit à la preuve du justiciable, pour pouvoir être considérée comme recevable. Il faut donc que cela soit le seul moyen de prouver une situation ou des allégations;

 

Ainsi, si la partie a d’autres preuves à sa disposition, pouvant être obtenues de manière loyale, alors la preuve obtenue de manière déloyale sera déclarée irrecevable par le juge.

 

Plus concrètement, le juge doit opérer un contrôle de proportionnalité en mettant en balance d’une part, le droit à la preuve, et d’autre part, les droits de l’autre partie, notamment le respect de ses droits de la défense en prenant en compte sa capacité à faire valoir ses propres arguments en réponse.

 

Pourquoi ce revirement ?

La Cour de cassation justifie ce revirement de jurisprudence par plusieurs arguments.

 

Premièrement, elle met en avant l’apparition des nouvelles technologies qui permettent d’offrir aux justiciables de nouvelles perspectives supplémentaires sur la façon de rapporter la preuve de leurs droits.

La Cour prend également en compte le fait que ces nouveaux moyens de preuve présentent des risques inédits d’atteinte à des droits fondamentaux.

Aussi, par ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation se conforme à la position du droit européen.

 

Effectivement, elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales : « lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence ».

 

Par ailleurs, les juges se rapprochent également de la jurisprudence en matière pénale. En effet, dans le procès pénal, le principe mis en avant est la liberté de la preuve, principe selon lequel tous les moyens sont possibles pour prouver un fait.

 

La Cour rappelle : « En matière pénale, la Cour de cassation considère qu'aucune disposition légale ne permet au juge répressif d'écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ».

 Concrètement, un enregistrement audio obtenu à l’insu d’une personne peut-il être une preuve recevable dans un contentieux civil ?

Dans son arrêt du 7 janvier 2011, l’assemblée plénière de la Cour de cassation avait statué que : « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».

 

Or, grâce à l’arrêt du 22 décembre 2023, l’enregistrement téléphonique obtenu à l’insu de l’auteur des propos peut désormais être considéré comme une preuve recevable par le juge, s’il considère que cela répond aux conditions précédemment énoncées.

 

 Le cas particulier du droit à la preuve dans le contentieux du droit du travail

 

À noter : Dans un arrêt du même jour, la Cour de cassation pose une limite à ce droit à la preuve dans le contentieux du droit du travail.

 

En droit du travail, il n’est pas possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle, sauf s’il constitue un manquement à ses obligations découlant de son contrat de travail.

 

Or, la Cour considère que la conversation privée Facebook d’un salarié n’ayant pas vocation à être rendue publique, ne constitue pas un manquement à ses obligations professionnelles.

Ainsi, l’employeur n’est pas fondé à invoquer la méconnaissance de son droit à la preuve et cette preuve est déclarée irrecevable.

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